Résumé des interviews :

Emmanuel Deschrevel

Emmanuel Deschrevel est depuis plusieurs années le responsable du groupe local Caennais d’Amnesty International.

C’est une Organisation Non-Gouvernementale qui défend le respect des droits humains dans le monde entier en enquêtant, alertant et agissant : “Chaque jour, nos actions visent à faire connaître et à défendre les droits humains, puis à exiger que les victimes obtiennent réparation et que les auteurs de violences soient traduits en justice.” (Amnesty.fr). Ils s’investissent sur de nombreux fronts, mais leur travail nous intéresse tout particulièrement au sujet de la peine de mort. Ainsi, Amnesty International fait un travail remarquable et est une source de confiance sur ce sujet, et Mr Deschrevel nous permet donc d’avoir leur point de vue en tant qu’ONG qui milite depuis toujours contre la peine de mort.

Synthèse de l'entretien :

Qu’est-ce qu’Amnesty International ? 

Amnesty International est un mouvement de masse (plus de 130 000 membres) qui sont pour la plupart bénévoles. Les membres s’engagent à rédiger 2 lettres par mois minimum pour aider des victimes et montrer que ces personnes ne sont pas oubliées, et peuvent s’impliquer davantage dans un groupe local comme celui de Caen. 

Amnesty International repose sur 3 objectifs essentiels : enquêter, alerter, agir. 

Un groupe local n’enquête pas, alerte un peu, mais essaye d’agir localement. 

Alerter et agir peuvent prendre la forme d’un stand aux festivals locaux pour expliquer aux gens ce qu’est Amnesty et leur proposer de participer à des actions (surtout des pétitions) pour relayer les enquêtes et actions menées par Amnesty. Cela peut aussi être de sensibiliser de manière générale à la question des droits humains par exemple en éducation aux droits humains lors d’interventions dans des écoles. 

Grâce à son travail de qualité, l’ONG a reçu un Prix Nobel de la paix en 1977. 

 

Quels droits défend Amnesty International ? 

Amnesty International défend les droits humains, c’est-à-dire tous les droits de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. 

Au départ, en 1961, Amnesty défendait des prisonniers politiques. Mais rapidement, des sujets y ont été liés : procès équitable, torture, peine de mort, etc donc Amnesty s’est diversifié. 

Vers 2000, Amnesty a aussi englobé des droits économiques, sociaux, culturels, il a donc été plus simple de revendiquer l’ensemble de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. 

Mais concrètement, Amnesty International se consacre surtout à la peine de mort, la torture, les procès équitables, et les exécutions extra-judiciaire, mais également aux atteintes très graves à l’environnement qui impactent sur d’autres droits (droit à la santé, droit à l’eau, etc) et aux formes de répressions autres telles que de détruire des habitations de populations (atteinte du droit fondamental d’avoir un toit). 

 

Quelles sont les valeurs d’Amnesty International ? 

  • La solidarité : représenté par le mot ”International”, c’est à l’essence même de l’ONG car il est nécessaire pour Amnesty de s’intéresser au sort des gens à l’autre bout du monde 
  • L’impartialité : dès le départ d’Amnesty (en contexte de guerre froide), il y a eu la volonté de ne pas se mêler des querelles politiques, économiques, philosophiques, bien que ces facteurs soient importants. En effet, si l’on veut s’occuper des droits humains, il faut enquêter partout équitablement et sans être influencé. L’objectif commun des membres d’Amnesty est la défense des droits humains, peu importe leurs opinions politiques personnelles. 
  • L’indépendance financière : depuis le début, Amnesty ne reçoit pas de contributions financières des États, des autorités politiques, ni des entreprises. En effet, cela pourrait freiner le travail de dénonciation ou mettre le doute sur la qualité et l’honnêteté du travail fait. 

 

Quelle est la valeur d’un être humain ? Est-ce que toutes les vies se valent ? 

Oui, toutes les vies se valent pleinement. Toute vie humaine a une valeur, indépendamment des différences. Il y a un attachement à toutes les vies et aux droits liés à toute vie, à toute personne. 

 

Est-ce qu’au cours de vos missions, vous avez rencontré des problèmes éthiques qui pourraient interroger la valeur d’une vie humaine, notamment sur le choix entre telle ou telle catégorie de population ? 

Malheureusement, on ne peut pas combattre sur tous les fronts, mener toutes les actions en même temps, enquêter partout parce qu’on a des moyens limités. Ainsi, on est obligé de faire des priorités en se donnant des règles, mais ça ne veut pour autant dire que des vies valent plus que d’autres. Par exemple, on va donner priorité à un sujet qui monte en ce moment car les atteintes qui sont menées sont de plus en plus graves. 

 

Avez-vous un exemple de cela ? 

Au cours de ces dernières années, la peine de mort et la torture ont reculé de manière importante et indiscutable. La peine de mort a continué à diminuer avec le temps, mais la torture a eu un chemin plus compliqué. En effet, il y a eu la cassure de 2001 quand les Etats-Unis sont entrés en guerre contre le terrorisme. En effet, le gouvernement s’est autorisé à torturer à nouveau et, les USA étant très influents, cette décision a eu des conséquences. D’autres gouvernements se sont également permis de faire de même et ont emprisonné et torturé certaines catégories de population. Ainsi, cela a levé dans beaucoup de pays l’interdit, la honte d’utiliser la torture comme moyen de pression. Aujourd’hui après plusieurs scandales (Guantanamo etc), ce n’est plus le cas, mais cela a quand même eu un impact. Par exemple, la Chine utilise toujours le motif de lutte contre le terrorisme pour torturer les Ouighours. 

 

Amnesty International a-t-elle lutté pour aider les Ouighours ? 

Il y a eu plusieurs rapports d’Amnesty, mais il est difficile d’enquêter dessus, donc les rapports sont forcément partiels. Pour enquêter, Amnesty essaye d’avoir des autorisations et des contacts, ainsi que des vues satellites pour avoir l’ampleur de certains camps ou de mouvements de migrants. De plus, le poids d’Amnesty est lié à leur sérieux, leur réputation, donc tout ce qui doit sortir doit être absolument parfaitement vérifié, donc forcément les rapports sont limités par rapport à la réalité. 

 

Avez-vous été confronté à la mort ? 

Non, pas directement : être militant en France est assez “confortable”. Cependant, certains témoignages nous secouent, nous bouleversent, on lit des choses et on prend volontairement du recul car si on veut agir sur du long terme on ne peut pas tout prendre de plein fouet, mais en même temps si rien ne nous touche jamais, on se décourage. 

 

Avez-vous un exemple de témoignage marquant ? 

Témoignage marquant négatif : 

Début 2000, Troy Devis, un noir américain dans les couloirs de la mort depuis plusieurs années, était le cas typique du noir pas au bon endroit au bon moment. Son procès avait été bâclé, il était modeste donc il n’avait pas été bien défendu, tout cela alors que son innocence semblait évidente. Amnesty International a beaucoup œuvré, s’est beaucoup battu pour lui, pour faire connaître son cas, étaient parvenus plusieurs fois à rajouter du délai et à faire rouvrir le procès, sa sœur s’était également beaucoup impliquée, lui-même avait témoigné, etc. Malheureusement, après toute cette mobilisation, ils ont été choqués d’apprendre son exécution. 

 

Témoignage marquant positif : 

Mr Deschrevel était à la dernière assemblée générale d’Amnesty International France. Lors de cette assemblée, une des personnes qu’ils ont pu aider a témoigné, et son témoignage a marqué tout le monde. 

C’est un Egyptien qui gênait le régime de par ses activités pacifiques, il a donc été arrêté par la police et torturé. C’était un parmi des centaines d’arrêtés, mais ils ont beaucoup milité, ils se sont beaucoup impliqués pour lui. Ainsi, lorsqu’ils ont appris qu’il avait été libéré, c’était une très bonne nouvelle pour eux. Cela rappelle pourquoi l’on fait ça, que le fruit du travail a payé. 

Cependant, Amnesty International reste modeste dans ses réussites.

Augustin Giard

Augustin Giard semble avoir toujours su qu’il souhaitait être utile aux autres. En effet, il était en alternance comme pompier volontaire, ce qui lui a permis de déjà se confronter à des situations difficiles. Par la suite, il s’est engagé dans l’armée de terre au 1er régiment chasseurs parachutistes dans l’objectif de devenir éclaireur. Il s’est spécialisé en tireur 12-7 sur véhicule blindé léger, chargeur MX-10 archer sur char et tireur de soutien sur char (mitrailleuse sur le char). Puis, il a fait une formation de parachutiste. Grâce à tout cela, il est parti en mission en Côte d’Ivoire dans une base avancée dont l’objectif est de faciliter les interventions en Afrique, a participé à l’opération Barkan au Mali, et est intervenu au Burkina Faso pour des missions de ravitaillement. Aujourd’hui, il rejoint les forces de l’ordre. Ainsi, grâce à son expérience sur le terrain et aux évènements auxquels il a été confronté, il nous permet d’avoir un point de vue pratique et concret de la réalité.

Synthèse de l'entretien :

Présentation :

Augustin est ex-militaire. Il a d’abord été scolarisé en bac professionnel et a, dans ce cadre, été en alternance pompier volontaire. Ensuite, il s’est engagé au sein de l’armée de terre dans l’objectif de devenir éclaireur, et il a pu ainsi partir en mission. Son engagement dans l’armée a duré 3 ans. Il s’engage désormais dans les forces de l’ordre. 

Cette vocation lui est venue car il a été adopté et a donc toujours été très reconnaissant envers la France et a donc voulu servir les intérêts du pays. Il voulait tout d’abord le faire en tant que pompier puis a voulu pousser son engagement plus loin, jusqu’au péril de sa vie, en s’engageant dans l’armée afin de servir les intérêts de la France aussi bien à l’intérieur du pays pour la sécurité nationale qu’en extérieur. 

 

En quel pays / zone avez-vous été ? 

Il n’a fait qu’une mission qui a donné sur plusieurs opérations : il a été projeté en Côte d’Ivoire sur une base avancée prépositionnée en Afrique. Cette base permet aux militaires d’être QRF (Quick Reaction Force), c’est-à-dire que quand il y a des incidents en Afrique, comme ces primo-intervenants y sont déjà, ils peuvent intervenir beaucoup plus rapidement. Ainsi, il était au 3ème bataillon d’infanterie de marine, qui est basé sur une ancienne base coloniale.  

Depuis cette base, il a été projeté sur plusieurs opérations : 

  • L’opération BARKAN au Mali 
  • Des opérations de ravitaillement au Burkina-Faso 
  • Dans le haut Niger 
  • En Côte d’Ivoire 

 

Avez-vous ressenti de l’hostilité ou un accueil chaleureux par la population locale ? 

Tout dépend vraiment de l’endroit. 

A Abidjan en Côte d’Ivoire, la base est vraiment au cœur de la capitale économique donc les habitants sont habitués à avoir la présence militaire et la tolèrent. Il y a quand même quelques opérations anti-Français par moment, mais de manière générale, Augustin était très surpris d’à quel point les civils étaient ouverts à la présence militaire Française. Ils donnaient même souvent des messages pour demander à ce que les Français restent car ils étaient déçus qu’ils laissent place aux Russes, Chinois et Italiens. 

En résumé, plus les militaires s’enfoncent dans les brousses, bidonvilles, périphéries et plus les populations sont hostiles, et inversement. 

 

Comment l’avez-vous ressenti personnellement ? 

Pour lui, les colonies sont vraiment d’une époque ancienne et dépassée, mais la population Africaine ne les a pas oubliés. Il était étonné car il y avait beaucoup de pro-colonies parmi les Africains, des gens qui voyaient les militaires Français comme des colons et ils étaient fiers de cela, et bien-sûr à contrario beaucoup de gens qui ont été détruits par les colonies. 

Les populations sont favorables à la présence militaire Française car du fait de l’ancienne présence coloniale Française et des dommages commis à leur pays par le passé, on se doit aujourd’hui de les protéger, pour rattraper les erreurs et limiter la casse face à un nouvel ennemi commun qui est l’État Islamique. 

 

A vos yeux, quelle est la valeur d’une vie humaine ? 

C’est très important car c’est très fragile et précieux, il faut en prendre soin. C’est étonnant de penser qu’une simple interaction avec quelqu’un ou un coup d’index peut briser une vie, mais en même temps qu’une simple réflexion positive peut tout changer. On s’en rend d’autant plus compte en tant que militaire car au moment fatidique c’est soi-même qui a la décision de retirer ou non la vie, ce qui n’est pas une facilité en soi et n’a rien d’anodin. 

 

Est-ce que toutes les vies se valent ? 

Point de vue militaire : 

On s’engage pour servir les intérêts Français au péril de sa vie. Il ne faut pas croire qu’un militaire s’engage pour les Français, ils se battent pour leurs chefs, et s’ils meurent, ça fait juste partie du métier. Le devoir d’abnégation et de sacrifice pour la France prend tout le dessus. A l’armée, on répète aux futurs militaires qu’ils sont des consommables, que s’ils meurent ça n’a pas d’impact, ils ont un matricule donc ils sont numéro, donc ils savent dans quoi ils s’engagent. Son but est d’accomplir la mission, peu importe le prix, il n’est pas question d’humanisme ni d’héroïsme. Ainsi, une vie d’un soldat ne vaut pas celle d’un civil car un militaire s’engage en partant du principe qu’il peut mourir. 

 

Point de vue personnel, avec son expérience de pompier : 

Toutes les vies se valent. Cependant, entre un civil et un sauveteur, la sécurité du sauveteur prime sur celle du civil. Un sauveteur ne doit pas mettre sa vie en péril pour une seule personne, car il vaut mieux qu’un civil périsse et que le sauveteur puisse en sauver d’autres dès le lendemain plutôt que de sacrifier un sauveteur. 

Les sauveteurs sont tous les gens qui ont rôle de sauver des vies et de protéger les autres. 

 

Lors des indemnisations après des attentats ou encore sur le marché noir, la valeur de certaines vies vaut plus ou moins que d’autres suivant l’ethnie. Qu’en pensez-vous ? 

La population Africaine donne beaucoup d’importance à la couleur de peau. Par exemple, Augustin est arrivé sur des terres agricoles avec un collègue qui avait fait un peu d’agriculture et a donné un simple conseil à des agriculteurs Africains. Cependant, il ne s’y connaissait qu’un peu étant donné que son métier était militaire, donc l’agriculteur en face connaissait bien mieux le sujet global que lui puisqu’il en vit, mais il a écouté avec beaucoup d’attention le militaire blanc. 

En effet, les Africains ont tendance à voir en le blanc un symbole de richesse, de réussite et donc vont plus lui faire confiance et s’investir d’autant plus dans ses idées et ses projets que si c’était une personne d’une autre couleur. 

 

Pour Augustin, toutes les vies ne se valent pas vraiment dans les faits. 

Lors d’un génocide en Afrique, les Européens n’y prêtent que peu d’attention car ils s’identifient peu au peuple Africain. Cependant, lors d’un conflit en Ukraine, un pays occidental avec beaucoup de similitudes avec la France, la population va être beaucoup plus touchée par les évènements. De même pour les attentats aux Etats-Unis qui avait plongé le monde entier en deuil, alors que pour le génocide au Rwanda ce n’était pas le cas. 

Ainsi, en Occident, il y a une différence entre comment on traite une vie humaine de civilisation à civilisation plutôt qu’ethnie par ethnie, alors qu’en Afrique c’est plutôt par rapport à la couleur de peau. 

 

Comment avez-vous été confronté à la mort ? Comment avez-vous été réagi ? 

Comme Augustin était pompier depuis ses 16-17 ans, il avait déjà été confronté à la mort, mais dans le cadre militaire c’était une mort criminelle, ce qui change beaucoup.  

Être confronté à la mort a eu des impacts négatifs sur la vie d’Augustin, notamment en retour de mission, mais il relativise car il préfère que ce soit lui, militaire volontaire qui s’est engagé de son plein gré qui doive être confronté à la mort, plutôt qu’un civil qui n’a rien demandé qui se fasse appeler par son gouvernement en mobilisation générale. Il se considère comme un joint, un entre-deux qui va être là pour récupérer la souffrance du monde et éviter que quelqu’un qui ne veut pas la voir ne la voit pas. 

 

Vous avez été confronté à la mort de façon intense, avez-vous été impliqué indirectement pour tuer ? 

Oui forcément, ne serait-ce que lors des opérations de ravitaillement d’une base opérationnelle dans une zone à forte tension, on ravitaille en armes et en munitions qui vont forcément être utilisées donc dans tous les cas on est impliqué en logistique dans la mort de personne. Il a également été impliqué plus directement. 

 

Un évènement, dilemme précis qui vous a marqué dans toutes vos missions ? 

Si l’on garde un village c’est pour pas qu’il se fasse attaquer mais on ne peut pas garder toute l’Afrique donc pendant ce temps, un autre village va être attaqué. Il faut parfois choisir les villages, mais ça ne relevait pas du tout de lui, il était en bas de la hiérarchie, il suivait les ordres. Ça pouvait lui arriver d’être en opposition avec certains ordres, mais il était un consommable, il n’était pas là pour donner son avis. 

 

Pourquoi n’êtes-vous plus militaire aujourd’hui ? 

On voit la vie d’une valeur humaine et donc de la sienne. Il s’est donc demandé s’il voulait être cet entre-deux qui absorbe les souffrances du monde entier tout seul toute sa vie. Certes, le civil ne subit pas ces souffrances, mais son chef qui est à des milliers de kilomètres des combats n’est pas non plus confronté à ça, donc il s’est demandé s’il voulait toujours être servant de ces hommes en costard loin de la réalité. 

Il s’est engagé en pensant faire de l’humanisme et servir les intérêts de la France, mais finalement son action avait surtout comme objectif des relations politiques avec des retours sur l’économie, etc. Il avait du mal à accepter que sa vie humaine soit mise au challenge au profit d’économie, d’argent, de gens au pouvoir etc, il voulait une démarche sociale. 

C’est pour cela qu’il se dirige désormais vers les forces de l’ordre pour ne plus être confronté à une forme de violence qui a comme fond que cupidité et vanité, mais une forme de violence qui permet d’aider des femmes battues. Aider une femme battue ou sauver un homme d’un incendie est gratifiant, on rentre chez soi heureux, mais servir un pays pour des fonds économiques ne l’est pas.